Voici un très beau roman sur l’amitié et sur la fragilité du vivant.
Nous sommes en 1835 et le grand pingouin est recherché pour sa chair tendre, son plumage fin et moiré, son bec strié en forme de pince, et certains se méfient de ses airs de sorcière : on préfère le tuer.
Auguste, notre héros, n’a que faire de tout ça : c’est un jeune zoologiste passionné, aux prémices de sa carrière. Lors d’une expédition sur une île d’Islande, il sauve un grand pingouin d’un massacre par des marins et le rapporte chez lui, sur son île, pour étudier son comportement.
« Il avait ramassé le pingouin comme il l’aurait fait d’une fleur rare (…) »
Peu à peu se créent entre l’homme et l’oiseau sauvage des points d’intersection, des connexions uniques, indéfinissables : tout les oppose mais ils trouvent un langage commun fait de silences et de malentendus, de bains de mer rituels, de lissages de plumes et de cheveux, mais aussi de peurs et de luttes. Cette amitié singulière est racontée avec tant de précision et de réalisme que j’y ai complètement adhéré.
L’oiseau prend une place si importante que Gus lui donne un nom : Prosp, le majestueux Prosp au ventre bombé, en qui j’ai trouvé la poésie du « prince des nuées », du « roi de l’azur maladroit et honteux » (« L’Albatros » de Baudelaire, vous souvenez-vous ?)
Mais parce qu’il l’aime plus que tout, Gus veut le rendre à sa famille et à son environnement pour lui faire mener une vie de pingouin digne de ce nom. Après des recherches infructueuses, le constat est là : Prosp semble être le dernier grand pingouin vivant sur Terre.
« Prosp et lui restèrent un certain temps devant la mer, sans bouger ni se toucher, l’homme allongé les yeux dans le ciel, l’oiseau debout, le regard droit vers l’horizon. »
Cette belle amitié prend alors une dimension tragique : Gus découvre l’extinction (impensable à l’époque), le fait que l’univers ne se renouvelle pas continuellement, que la chaîne peut être rompue. Et avec lui, on se désole, on l’accompagne le cœur serré dans ses réflexions : solitude extrême de l’oiseau, fin d’un règne, fin proche de leur amitié unique, avec ce « jamais plus » qui résonne, et ce sentiment que tout se gomme à fur et à mesure que l’histoire s’écrit.
Admirable hymne à l’amitié – accepter de ne pas tout comprendre de son ami – ; hommage au règne animal ; réflexion sur la survie de l’espèce (pourquoi se reproduit-on, au-delà du désir sexuel et de l’amour ?) ; ultime avertissement sur la fragilité du vivant et sur le néant qui nous guette… Voilà à peu près ce que contient ce grand livre, qui a dû demander à l’auteure de longues investigations, une documentation scientifique poussée, et une recherche continuelle du mot juste et de la nuance pour analyser le comportement animal. Merci Sibylle Grimbert.
Sophie Touzet
Editions Anne Carrière, août 2022.
Prix Littéraire 30 millions d’amis.
Ci-contre : Illustration © The Natural History Museum / Alamy Stock Photo ; photo Grand Pingouin (Pinguinus impennis) © MNHN – Laurent Bessol
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