« Aroha » (« l’amour » en maori)

En ouvrant ce roman, on pose le pied sur une île lointaine : la Nouvelle-Zélande, et l’on rencontre un enfant désemparé, sans voix quand il comprend que son frère le quitte pour longtemps. C’est la campagne, c’est une petite ferme au bord d’une rivière entourée de pâturages et de bêtes de somme, de lapins, de poules et d’oiseaux. Son oncle et sa tante habitent là. On installe l’enfant dans sa nouvelle chambre et la voiture du grand frère disparaît, musique à fond et planche de surf en équilibre sur le toit.

Heureusement, Ārama, ainsi qu’il se prénomme, a un bon stock de sparadraps pour les coups durs, les entailles aux genoux et les bleus à l’âme, et la fille du voisin, l’intrépide Beth, l’entraîne avec son chien Lupo dans ses courses folles.

Peu à peu, plusieurs voix s’ajoutent à celle d’Ārama pour nous révéler des secrets : ceux d’une famille disloquée, rompue par une succession de drames qui ont pris racine des décennies plus tôt. Dès lors se déplient de nouvelles histoires, des lettres, des livres et des ailes d’oiseaux ; dès lors s’ouvrent les portes d’un squat et des bras piqués de seringues ; dès lors se soulèvent des couvercles et des vents contraires, des nuages d’abeilles et des chants maoris – et pleuvent des coups d’une violence terrible.

J’ai tout aimé dans ce livre. Rien que cet oiseau en couverture (un pūkeko, répandu en Nouvelle-Zélande) est une invitation. Au fil du texte, il fait des apparitions répétées, en dessin ou dans les voix qui se racontent, et l’on comprend qu’au-delà de son plumage bleu nuit, il porte un message : chaque personnage est un oiseau brisé qui déploie tout son courage et son amour pour survivre.

Ces oiseaux sont autant de touches magiques dans les ténèbres du roman, pour signifier l’amour et la réparation, tout comme la poésie révélée par des trésors modestes – une boucle d’oreille, une guitare, un petit os poli, une photo déchirée, des fleurs cachées entre les pages d’un livre. Et puis cette île nous murmure peu à peu son âme et son histoire, à travers les rites et les chants d’un peuple : les Maoris.

J’ignorais tout de ces autochtones écrasés par la colonisation, et dont la jeunesse en perte d’identité semble s’être diluée dans la misère et la violence des gangs. A travers la famille d’Āmara et de Taukiri, on découvre une spiritualité qui résiste, et des mots qui soufflent une mélodie.

Ce livre est immense, il m’a donné l’espace pour voyager et pour imaginer d’autres paysages, d’autres vies possibles. Il m’a donné envie de partir en Nouvelle-Zélande, sur les traces des Maoris, à la recherche de cette plage secrète, Bones Bay.

Sophie Touzet

Traduit de l’anglais par David Fauquemberg, éd. Au vent des îles, 2022

0 commentaires

Soumettre un commentaire