La seule chose que je n’ai pas aimé dans ce livre, c’est le point final. En le refermant j’ai perdu un monde que j’ai respiré, touché, écouté, fouillé ; j’ai perdu des gens et des paysages que j’adorais malgré et pour leur détresse, parce que j’ai eu l’impression d’être dans leur peau, dans leur voiture, dans leur lit et dans leurs souffrances. Tout ça c’est grâce à l’écriture extraordinaire de Nicolas Mathieu : souple et limpide, directe et incisive, traversée de grands éclairs poétiques.
Je suis donc tombée follement amoureuse de Martel, ouvrier syndicaliste à l’usine Velocia dans les Vosges, une brute épaisse à qui on pardonne tout : après plusieurs années de service, il est remercié en même temps que ses collègues, une centaine d’hommes qui ne comptaient plus que sur leur travail. L’usine ferme et ils n’ont plus rien. Martel est criblé de dettes et sa mère est installée dans une maison de repos coûteuse: comment payer ? La solution, il la trouve grâce à Bruce, jeune voyou gonflé aux stéroïdes, qui l’entraîne dans une affreuse combine impliquant de dangereux caïds, une jeune prostituée, et, malgré elle, une inspectrice du travail aussi charmante qu’écorchée vive.
Ce n’est qu’une infime partie de l’intrigue : il y en a mille en une seule, comme une grande toile d’araignée reliant chaque protagoniste d’un même fil : la misère.
Nicolas Mathieu écrit mieux que personne sur cette misère tenace et bien réelle, celle de la classe ouvrière méprisée, celle des humains qui depuis leur premier souffle se sont construits comme ils pouvaient : sans amour ni sécurité, dans la violence, l’ennui, les substances, avec pour seul horizon l’épais brouillard des hivers vosgiens et les ruines laissées à leurs enfants.
C’est un roman social noir éblouissant où tout est superbement analysé, construit, rythmé : ça vous renverse et vous remet le cœur et la tête bien en place.
Lire Nicolas Mathieu c’est un peu « plonger les mains dans l’acide » (pour reprendre un titre de Claro), faire l’expérience vivante de la détresse et du combat, et en sortir grandi.
Mention spéciale pour le chien de Rita qui m’a valu de gros sanglots d’attendrissement.
Une série adaptée du livre, réalisée par Nicolas Mathieu et Alain Tasma, est sortie en 2018.
Editions Babel noir, 2016
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