Gérard n’a vraiment rien pour lui, le pauvre, même pas de quoi repasser sa chemise : c’est un vieux garçon sans envergure, un peu bouboule et qui vivote de rien, au demeurant sympathique mais pas inoubliable. Ses ambitions déçues de détective privé à la petite semaine le conduisent à travailler pour un parti politique : il se retrouve alors pris au piège dans un complot tout à fait farfelu.

Je crois que ce livre d’Echenoz ne fait pas l’unanimité, mais moi je me suis régalée : plus que tordre le cou aux intrigues policières ou railler la vacuité du milieu politique, l’auteur se livre à un véritable exercice de style. L’écriture d’Echenoz est spirituelle, revigorante, picturale, inventive, parfois désarmante d’incongruité. J’ai beaucoup ri !
Avec une parfaite maîtrise, il brutalise la syntaxe, joue avec les figures de style, jongle avec le propre et le figuré, oscille entre la poésie et la trivialité. Le résultat donne une écriture inclassable.
Tout est dans les ruptures : une phrase de facture classique peut s’achever brusquement dans l’approximation ou par une interpellation au lecteur, aussi familière qu’amusante, comme s’il lui parlait à l’oreille.
L’écriture est également cinématographique : à la manière d’une voix off qui accompagne une caméra en mouvement, il détaille et commente les scènes et les portraits, ouvre une porte, s’attarde sur un paysage, zoome sur un bras de fauteuil ou un menton, puis « recadre » le récit en revenant à l’essentiel du sujet.

J’avais déjà adoré Au piano et Les grandes blondes : Gérard ne m’a pas déçue. C’est un texte génial, pour ceux qui aiment les formules efficaces, les distorsions, la langue et les mots, la dérision et l’absurde, et qui ne craignent pas d’être bousculés.

« Lopez est bien plus émotive qu’elle n’en a l’air, plus fragile, plus rêveuse, elle envie les nuages de ne pas être sensibles au vertige, quoiqu’après tout qu’est-ce que j’en sais. […] Profitons-en plutôt, nous avons un peu de temps, pour esquisser une vie brève de Dorothée Lopez. […] Son engagement artistique semble s’être ensuite effrangé, cédant la place à une consommation accélérée d’hommes tous dotés d’une très brève espérance de lit. »

Les éditions de Minuit, 2020

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