Claire Keegan, Les trois lumières
(Récit traduit de l’anglais – Irlande – par Jacqueline Odin, éd. Sabine Wespieser, avril 2011)
Une écriture épurée comme j’en ai rarement lu. L’art de la suggestion et du silence font toute la force de cette novella, qui explore la relation unique entre une fillette et un couple, à la campagne, le temps d’un été. La découverte d’un secret, disséminé très habilement, éclaire – au sens propre – cet amour, jusqu’à un dénouement éblouissant.
Abigail Assor, Aussi riche que le roi
(éd. Gallimard, coll. Folio, septembre 2022)
Quand je pense à ce roman, je vois des prunelles gris vert, du linge pendu dans des ruelles peuplées de marchands ambulants, j’ai envie de cueillir du thym, de déguster du miel et de conduire une mobylette à Casablanca. Je pense à Driss, ce jeune homme laid et timide qui détient une fortune colossale, qui est « aussi riche que le roi ». Mais sa richesse, où est-elle en vérité ? C’est ce que la belle Sarah découvre au gré d’un combat sans merci.
Un excellent premier roman, très pictural, qui nous conduit dans une Casablanca contrastée, entre villas de luxe et bidonvilles, pour nous parler des cœurs et des corps adolescents, d’une conquête sociale déguisée en conquête amoureuse ; qui raconte la peur et la honte de la misère, et les rouages d’une société privilégiant la religion, la lignée, l’argent et les hommes.
Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main
(éd. Verticales, août 2018)
On entre dans ce livre un peu comme on pousse la porte d’un passage secret, et l’on suit Paula, une jeune peintre en décor, dans sa découverte d’un monde nouveau fait de vapeurs de térébenthine, de pigments écrasés et de frottements de pinceaux. Avec elle, on se « fond » littéralement dans les décors : ciel peint au plafond d’une chambre de bébé, patine d’or d’un salon de coiffure, murs d’eucalyptus pour un hôtel, salon d’Anna Karénine… jusqu’à la prestigieuse grotte de Lascaux dont elle doit créer le fac-similé. Immense texte sur la magie du trompe-l’œil, sur les pouvoirs du peintre – créer l’illusion de la matière et du mouvement -, sur la beauté de son geste technique ; hommage à l’art qui permet d’observer et de comprendre la richesse minérale et végétale de notre Terre. Un pur chef-d’œuvre écrit aux pinceaux et aux couteaux fins.
Maylis de Kerangal, Tangente vers l’est
(éd. Verticales, décembre 2011)
Un voyage haletant à bord du Transsibérien. Deux jeunes fugitifs, chacun vivant une période de grande confusion, se rencontrent dans l’obscurité d’un compartiment et partagent un huis-clos étrange fait d’instants décisifs, pleins de tension et d’espoir. Une histoire très resserrée, incroyable de précision, de souffle et de poésie, qui donne envie de porter une grosse toque en fourrure ; qui fait résonner les échos de la Russie et vibrer toute l’atmosphère d’un long voyage ferroviaire (fatigue, promiscuité, visages reflétés dans la vitre, forêts enneigées et rails qui courent…).
Franck Conroy, Corps et âme
(éd. Gallimard, coll. Folio, mars 2017)
Un roman qui donne envie de pianoter du jazz, de danser le boogie-woogie et d’aller au bout de ses projets.
À New-York dans les années 50, le petit Claude habite avec sa mère un sous-sol misérable qui laisse à peine entrer le jour. Sa vie est bouleversée quand il découvre par hasard, enseveli sous un bric-à-brac, un piano blanc désaccordé. Au-delà de la grâce musicale, c’est un magnifique roman d’apprentissage, une belle leçon de courage et d’humilité, qui montre que rien n’est impossible quand on croit en soi et à force de travail.
Leïla Slimani, Le pays des autres et Regardez-nous danser (t. 1 et 2)
(éd. Gallimard, mars 2020 et février 2022)
les deux premiers volets de cette saga nous emportent aux sources d’un Maroc en pleine transformation, marqué par le colonialisme, et nous font explorer les racines d’une famille tiraillée entre deux cultures. Le deuxième tome a ma préférence car les scènes d’amour sont divines. Comme beaucoup, j’attends gentiment des nouvelles d’Aïcha, de Selim, de Mathilde et d’Amine, à suivre dans le prochain et dernier tome.
Sophie Touzet
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